Je jette ici en vrac quelques tableaux de citations et quelques structures représentatives du discours (SRD) sur le modèle de Kamp (1981). L'idée est de construire ma pensée pour un autre e-Origami un peu plus structuré : philo-greco-romaine-folie
Kamp, H. (1981). Événements, représentations discursives et référence temporelle. Langages, 64, 39‑64.
Formation discursive magico-religieuse
Sources :
- Cyrulnik, B., & Lemoine, Histoire de la folie avant la psychiatrie. Odile Jacob.
- Quétel, C. (2012). Histoire de la folie : De l’Antiquité à nos jours. Tallandier.
Civilisation | Conception de la folie | Lien au sacré | Référence (page) | Extrait clé |
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Babylone | Possession par des démons, nécessitant intervention de prêtres | Folie perçue comme intervention surnaturelle ; soins assurés par des figures religieuses | (Cyrulnik & Lemoine, 2018, Introduction) | les prêtres qui savaient agir sur les entités invisibles s’occupaient des fous et des démons qui les habitaient |
Égypte antique | Origine cérébrale des fonctions mentales mais toujours dans un cadre symbolique | Médecine intégrée dans un cadre religieux ; lien entre troubles mentaux et désordre cosmique | (Cyrulnik & Lemoine, 2018, Introduction) | Dans le papyrus d’Ebers, en Égypte, on peut lire que le cerveau est source des fonctions mentales |
Hébreux | Châtiment divin | Lien direct entre péché, punition divine et folie | (Cyrulnik & Lemoine, 2018, Introduction) | L’Éternel te frappera de délire, […] d’égarement de l’esprit |
Perse (Zoroastrisme) | Souffrance de l’âme soignée par trois voies : le couteau, les plantes, la parole | Médecine articulée à une éthique spirituelle de pureté | (Cyrulnik & Lemoine, 2018, Introduction) | les souffrances de l’âme […] peuvent être soignées par le couteau (chirurgie), les plantes […] ou la parole |
Inde (hindouisme / bouddhisme) | Déséquilibre lié au désir, à la souffrance | Spiritualité liée à la renonciation aux attachements pour atteindre la paix mentale | (Cyrulnik & Lemoine, 2018, Introduction) | Bouddha explique que le plus sûr moyen de ne pas souffrir psychiquement consiste à renoncer à tout désir |
Grèce antique | Interprétations multiples : possession, excès de passions, déséquilibre des humeurs | Pratiques rituelles (Asclépios) ; coexistence avec approches philosophiques et médicales | (Cyrulnik & Lemoine, 2018, Introduction) | les Asclépiades guérissent en écoutant les rêves et en prescrivant des rites de purification |
Babylone | Possession démoniaque (démon Idta), interprétation magique des symptômes | Médecine sacerdotale ; chaman et prêtre comme figures de soin | (Quétel, 2012, p. 22) | Dans la médecine babylonienne, chaque maladie ayant son démon, celui qui est cause de la folie a pour nom Idta […] la médecine babylonienne fait aussi bien appel au chaman (Asipu) qu’au médecin (Asu) |
Égypte antique | Dérèglement du cœur, perte de soi, hystérie (migration de l’utérus) | Temple comme lieu de soins, médecine divine et rituelle | (Quétel, 2012, p. 21) | les fous attendent leur tour pour quelque cérémonie thaumaturgique […] les prêtres-médecins […] prescrivent régime et remèdes, parfois dictés par le dieu lui-même |
Perse (Zoroastrisme) | Influence des démons ; dualisme entre bien et mal | Parole sainte comme voie de soin ; modèle tripartite de la médecine (scalpel, plantes, parole) | (Quétel, 2012, p. 22) | Trois sortes de médecine y sont différenciées, qui sont celles « du scalpel, des plantes et de la parole » – cette dernière étant bien entendu la parole sainte |
Grèce archaïque | Possession divine, châtiment des dieux, hubris | Asclépions, rites de purification, incubation | (Quétel, 2012, p. 23) | Les fous constituent une catégorie de choix pour ce type de médecin, alliant le magique au religieux |
Hébreux / Judaïsme | Châtiment divin lié au péché ou à la désobéissance | Folie comme perte de bénédiction divine, exclusion sociale | (Quétel, 2012, p. 25) | Dieu envoie la maladie pour punir ses créatures. Et quelle meilleure punition que la folie ? […] L’amalgame fou-impie n’a pas fini de peser sur la tradition judéo-chrétienne |
SRD récap
Paramètre | Configuration dominante | Variations contextuelles |
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Institution de sens | Espace sacré autolégitimé (temple, sanctuaire, oracle) | Prêtres parfois médecins (Égypte, Grèce), prêtre ou médecin (Grèce, Perse), chamanisme (Babylone), prophétisme (Hébreux). |
Référent du trouble | Perturbation de l’ordre sacré ou moral | Démon (Babylone), déséquilibre interne (Égypte), faute morale (Perse, Judaïsme), possession divine (Grèce) |
Sujet de discours | Le sujet troublé est silencié ou effacé, sauf dans les cas de folie d’inspiration | Le fou prophétique (Grèce, Proche-Orient) peut devenir canal d’un énoncé divin, mais non auteur de son trouble |
Genre discursif | Récit mythique, oracle, incantation, prescription rituelle | Textes révélés (Judaïsme, Perse), rituels oraux (Babylone), onirothérapie (Égypte, Grèce) |
Acte prescrit | Interaction rituellique visant à restaurer l’ordre (purification, exorcisme, isolement, sacrifice, prière, jeûne, etc.) | Codifiée par l’institution et validée par la conformité au dogme |
Mode de légitimation | Autorité théologique ou cosmique, inhérente à l’espace d’énonciation | La vérité est produite par l’énonciation rituelle elle-même : elle n’est ni démontrée, ni négociée |
Formation discursive philosophique
Sources :
- Cyrulnik, B., & Lemoine, Histoire de la folie avant la psychiatrie. Odile Jacob.
- Quétel, C. (2012). Histoire de la folie : De l’Antiquité à nos jours. Tallandier.
- Pigeaud. (1981). La Maladie de l’âme. Les Belles Lettres.
Philosophie grecque
Référents discursifs
Terme grec / concept | Référent discursif de la folie | Référence (page) | Citation ou extrait commenté | Philosophe(s) mentionné(s) | Courant philosophique |
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μανία (mania) | Ekstasis durable sans fièvre ; dérèglement des habitudes, aberration de la pensée | P. 100-101 | « Μανία ἐστὶν ἔκστασις τῆς διανοίας καὶ παραλλαγὴ τῶν νομίμων καὶ τῶν ἐν τῷ ὑγιαίνειν ἐϑῶν ἄνευ πυρετοῦ. » | Platon, médecins hippocratiques | Platonisme, médecine hippocratique |
ἐκστασις (ekstasis) | Sortie de soi, état d’exaltation / perturbation intellectuelle | P. 100-101 | « folie qui dure longtemps et sans fièvre » ; « la manie est une ekstasis de la pensée » | Platon | Platonisme |
φρενῖτις (phrenitis) | Fièvre cérébrale ; associée à un comportement incohérent ou délirant | P. 100 | « il n’y a pas de distinction entre le comportement phrénitique et le comportement maniaque » | Hippocrate, Galien | Médecine grecque |
ἐξεμάνη (exemánê) | Verbe indiquant un état maniaque : agitation, cris, logorrhée | P. 100 | « βοή, ταραχή, λόγοι πολλοί » | Aucun spécifié | Médecine / description clinique |
δυσϑυμία (dysthumia) | Tristesse profonde, humeur noire | P. 497 | « toute espèce de chagrin et l’abattement (δυσϑυμίας) » | Galien | Médecine galénique |
ἀθυμία (athumia) | Mélancolie ou découragement | P. 497 | « la même raison qui cause l’euthymie peut provoquer l’athymie » | Galien | Médecine galénique |
εὐϑυμία (euthumia) | État d’équilibre intérieur, harmonie psychique | P. 497-498 | « comportement d’un être réconcilié et apaisé » ; aussi cause de « crises de manie » dans certaines conditions | Démocrite, Galien | Atomisme / médecine galénique |
μέλαινα χολή (melaina cholè) | Bile noire, cause matérielle des troubles de l’âme | P. 496 | « le vin, étant de même nature que la bile […] peut être le remède de l’athymie et provoquer l’euthymie » | Hippocrate, Galien | Médecine grecque |
παράνοια (paranoia) | Désordre de la pensée, délire (plus tardif, pas encore pleinement pathologisé ici) | — | Terme non développé ici mais mobilisé dans la tradition galénique | Galien (implicite) | Médecine grecque tardive |
ἄνοια (anoia) / ἀφροσύνη (aphrosunè) | Folie morale : absence de sagesse ou de bon sens ; ignorance volontaire | P. 498 (allusions) | Présente dans les contrastes avec sôphrosunè (modération) ; idiome éthique | Platon, Stoïciens | Platonisme, Stoïcisme |
SRD synthétique |
Paramètre discursif | Régularité observée | Différences attestées dans les sources |
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Institution de sens | Le discours sur la folie est produit dans des lieux savants : écoles philosophiques, cercles de savoir, médecine | Galien inscrit la philosophie dans la pratique médicale ; Démocrite se tient en marge dans une posture solitaire et réflexive |
Référent du trouble | La folie est majoritairement interprétée comme un déséquilibre interne (âme, passions, nature, souffle vital) | Pour Platon : déséquilibre entre parties de l’âme ; Pour les Stoïciens : désordre des passions (pathos); Pour Galien : dérèglement corporel |
Concepts structurant | Concepts centraux : âme, raison, logos, pneuma, passions, ignorance, manie | Platon introduit la mania inspirée comme forme valorisée ; les Stoïciens nient la valeur de toute passion ; Galien matérialise l’âme |
Sujet de discours | Le philosophe ou le médecin-philosophe est le locuteur légitime du discours sur la folie | Chez Platon, la folie prophétique donne au fou une parole transitoirement légitime (inspiration divine) |
Genre discursif | Le discours est démonstratif, éthique ou spéculatif, orienté vers la définition du bien ou de la santé de l’âme | Platon articule logos et inspiration divine ; les Stoïciens tiennent un discours dogmatique ; Galien mobilise le dialogue médical |
Acte prescrit | Rééquilibrage de l’âme ou du corps ; travail éthique ou thérapeutique | Platon : harmonie des parties de l’âme ; Stoïciens : extirpation des passions ; Galien : traitement par tempérament |
Mode de légitimation | La vérité du discours repose sur la raison, la nature ou une vision éthique de l’ordre humain | Platon introduit une légitimité par le divin (enthousiasmos) ; Galien par l’observation empirique ; Stoïciens par le logos |
Statut de la folie | La folie est un objet de réflexion qui révèle un désordre du sujet | Elle peut aussi être source de vérité dans le cas de la folie inspirée (Platon) ; elle n’altère pas l’âme, elle est conséquence des passions pathos (Stoïciens) |
Philosophie romaine
Thème abordé | Conception de la folie | Concept clé mobilisé | Légitimation du discours | Référence (page) | Extrait clé |
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Folie et justice | La folie extrême peut dispenser de la peine : la folie est considérée comme une punition suffisante | Aliénation mentale / furore | Humanitas stoïcienne ; clémence impériale | (Pigeaud, 2006, p. 424-426) | « Tu peux épargner la punition à Aelius Priscus puisqu’il est assez puni par la folie elle-même » |
Responsabilité morale du fou | Ambiguïté de la responsabilité : le fou doit être gardé pour sa propre sécurité et celle des autres | Contrôle de soi / prudence | Double niveau : compassion et nécessité de protection | (Pigeaud, 2006, p. 426) | « Il devra être gardé avec grand soin […] cela conviendra tant à son châtiment qu’à sa protection et à la sécurité de ses proches » |
Sagesse et passions (Sénèque) | La sagesse consiste à ressentir les passions sans s’y laisser entraîner | Temperamentum (équilibre) | Morale de la maîtrise stoïcienne | (Pigeaud, 2006, p. 306) | « Le meilleur tempérament entre piété et raison est de ressentir le regret et le réprimer » (Sénèque, Consolation à Helvia) |
Folie comme maladie | Chrysippe assimile absolument la passion à la maladie : les passions ne sont bonnes à rien | Passion / maladie | Refus d’une utilité morale des passions (Stoïcisme) | (Pigeaud, 2006, p. 306-307) | « Le stoïcisme de Chrysippe, identifiant absolument la passion à la maladie, ne saurait considérer qu’une passion puisse être utile en quoi que ce soit » |
SRD synthétique : |
Paramètre discursif | Régularité observée | Différences attestées |
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Institution de sens | Le discours est porté par des figures d’autorité morale, politique et juridique (philosophes, empereurs, juristes) | Cicéron articule philosophie et droit ; Marc Aurèle et Sénèque mobilisent la position de gouvernants philosophiquement instruits |
Référent du trouble | La folie est interprétée comme une perte du discernement ou un dérèglement du jugement rationnel | Parfois décrite comme pathologie de l’âme (Sénèque), parfois comme perte de responsabilité juridique (Marc Aurèle) |
Concepts structurant | Concepts centraux : passions, fureur, équilibre, contrôle de soi, humanitas, discernement | Cicéron insiste sur la responsabilité morale ; Sénèque valorise la retenue affective ; Marc Aurèle souligne la folie comme peine suffisante |
Sujet de discours | Le philosophe ou le souverain moralement éclairé est locuteur légitime | Le fou reste objet du discours, sauf cas exceptionnels de compassion ou de jugement suspendu |
Genre discursif | Traité, lettre philosophique, discours politique ou juridique | Sénèque écrit des consolations ; Marc Aurèle des pensées intimes ; Cicéron manie un langage juridique et rhétorique |
Acte prescrit | Protection, retenue, réforme morale, suspension du châtiment | Cicéron préconise la garde du fou ; Marc Aurèle évoque la clémence impériale ; Sénèque insiste sur le travail intérieur |
Mode de légitimation | Autorité fondée sur la raison, la vertu, la loi naturelle ou la compassion philosophique | Sénèque privilégie la sagesse pratique ; Cicéron articule morale et droit ; Marc Aurèle incarne l’humanitas impériale |
Statut de la folie | Maladie morale ou mentale pouvant suspendre la responsabilité ou exiger la discipline intérieure | Ambiguïté entre compassion (Marc Aurèle), responsabilité atténuée (Cicéron), ou nécessité de réforme (Sénèque) |
# Consigne à conserver : Alors je fais des titres pour structurer notre travail, mais ces titres ne seront pas présents dans la rédaction :
- Introduction
- Formation discursive grecque - explication du contenu du SRD, avec des citations prises dans le tableau de citations. - tableau récapitulatif SRD
- Formation discursive romaine - explication du contenu du SRD, avec des citations prises dans le tableau de citations. - tableau récapitulatif SRD
- Continuité et ruptures entre les deux paradigmes
- Lien avec la médecine chez les grecs et chez les romains. On fera le paragraphe introductif à la fin. On commence par le 2. Voici les deux tableaux.
Citations :
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SRD :