Y a encore des bêtises là dedans, mais ça avance doucement... J'envisage une phylomémie collaborative de la psychiatrie grâce à GarganText.

Table des grands paradigmes en santé mentale (orientés « représentations »)

Paradigme (Modèle)Arguments favorables (Représentation positive)Arguments défavorables (Critiques)Statut officiel (France)International
Kraepelinien (vision chroniciste : schizophrénie conçue comme démence précoce incurable)- A apporté un cadre clinique structurant pour catégoriser les psychoses sévères. Le concept de démence précoce d’Emil Kraepelin a posé les bases du diagnostic moderne de schizophrénie (inclus plus tard dans les critères du DSM) (Roy et al., 2021, p. 25), donnant une assise scientifique initiale à la psychiatrie.  - Souligne l’aspect organique et durable de certains troubles, ce qui a encouragé des approches médicales (p. ex. recherche de causes neurologiques) à une époque marquée par des succès comme l’identification de la cause de la paralysie générale.- Modèle très pessimiste : postule une évolution inéluctablement défavorable. Jusqu’aux années 1990, la psychiatrie voyait les psychoses de façon fataliste, nourrie par cette perspective kraepelinienne de détérioration progressive (Roy et al., 2021, p. 25). Les patients étaient d’emblée considérés comme incurables, ce qui limitait l’espoir de rétablissement. - Risque de prophétie auto-réalisatrice : en anticipant la chronicité, on privilégiait le soin asilaire au long cours au détriment d’interventions actives. Cette vision, bien qu’érodée par des études montrant qu’une proportion non négligeable de patients s’améliorent sur le long terme (Roy et al., 2021, p. 26), reste encore ancrée chez certains soignants (d’où le « choc culturel » en intervention précoce) (Roy et al., 2021, p. 36).- Dépassé dans les recommandations actuelles. Les plans de santé mentale français ont abandonné l’idée d’une incurabilité systématique. Par exemple, le décret de 2017 sur les projets territoriaux de santé mentale stipule que la prise en charge doit viser le rétablissement social et l’autonomie des patients, rompant avec la vision de détérioration inévitable (Collectif Schizophrénies, 2017/2021).
- Les cliniciens sont encouragés à adopter des approches proactives et à ne plus « attendre que la maladie se déclare pleinement » avant de traiter (refus de l’attentisme chronique).
- Remis en cause par la recherche et les politiques de santé. Des suivis au long cours ont réfuté l’universalité du pronostic sombre kraepelinien (au moins un tiers des schizophrènes connaissent une évolution favorable) (Roy et al., 2021, p.26). - De nombreux pays ont opéré un changement de paradigme : l’accent est mis sur l’intervention précoce et la réduction de la durée de psychose non traitée, facteurs qui peuvent transformer radicalement le pronostic des troubles psychotiques (Boyer, 2017). Les anciennes doctrines fatalistes ont donc cédé la place à des approches plus optimistes dans les consensus scientifiques actuels.
Psychanalytique (psychodynamique : la maladie mentale comme conflit intrapsychique exprimé symboliquement)- Propose une lecture subjective et symbolique des troubles : les symptômes sont interprétés comme porteurs de sens (expression de conflits inconscients). Cette approche replace le vécu individuel et l’histoire du sujet au centre de la compréhension de la maladie, offrant au patient un espace d’écoute et d’élaboration de sa souffrance. - Apport historique et culturel important en France : pendant des décennies, la psychanalyse a façonné la psychiatrie française, fournissant aux soignants des outils pour comprendre la dimension psychologique et relationnelle des troubles. Pour certaines pathologies (ex. névroses, dépressions légères), des études récentes montrent que les psychothérapies d’inspiration psychanalytique peuvent améliorer les symptômes de façon comparable aux autres thérapies (efficacité démontrée notamment dans la dépression légère et certains troubles anxieux) (Garcia, 2024).- Efficacité non prouvée dans les troubles sévères. Aucune preuve scientifique n’atteste que la psychanalyse soigne des maladies comme la schizophrénie ou le trouble bipolaire (ni l’autisme ou l’anorexie) (Garcia, 2024). Les revues systématiques (Cochrane, INSERM etc.) concluent à son inefficacité sur ces troubles, comparativement aux approches comportementales ou familiales. - Approche non consensuelle et controversée : en France, un rapport de l’INSERM (2004) a conclu à l’inefficacité des thérapies psychanalytiques pour la schizophrénie (inférieures aux TCC et thérapies familiales) (Canceil et al., 2004). De même, la HAS en 2012 a estimé qu’il était impossible de valider l’intérêt des approches d’inspiration psychanalytique (jugées « non consensuelles ») dans l’autisme (Psychomédia, 2012). - Dérives et résistances à l’évaluation : l’approche psychanalytique, surtout dans sa version traditionnelle française, varie fortement selon les praticiens et échappe aux évaluations standardisées (Garcia, 2024). Certains excès ont conduit à des erreurs diagnostiques et thérapeutiques (p. ex. confusion entre troubles neurodéveloppementaux et « psychoses infantiles » sous l’influence de théories non validées ). Ces dérives ont terni son image, renforçant les appels à des soins fondés sur des preuves.- Recommandations officielles défavorables dans les troubles psychiques graves. La psychiatrie publique privilégie désormais les approches éprouvées (médicamenteuse, TCC, etc.) : les guides de bonne pratique excluent la psychanalyse pour la schizophrénie ou l’autisme. Par exemple, les autorités de santé ont recommandé de ne pas recourir aux psychothérapies psychanalytiques dans l’autisme (2012) et aucune recommandation de la HAS sur la schizophrénie ne retient cette approche. Elle n’est pas non plus enseignée comme traitement de première ligne dans les formations actuelles. - La psychanalyse reste présente à la marge (notamment dans certains services ou psychothérapies de soutien), mais son rôle est non reconnu officiellement pour la prise en charge des troubles psychiatriques lourds (pas de financement spécifique ni d’intégration dans les parcours de soins recommandés).- Déclin marqué dans la plupart des pays. Les lignes directrices internationales (NICE au Royaume-Uni, APA/DSM aus USA, etc.) ne préconisent pas la psychanalyse classique pour les troubles psychotiques ou l’autisme – elles lui préfèrent les approches comportementales, biologiques et familiales (Garcia, 2024). - Le paradigme psychanalytique a été supplanté par les modèles scientifiques dans la majorité des systèmes de soins. Il survit surtout dans quelques traditions (France, Argentine…) ou comme psychothérapie complémentaire pour troubles légers. Globalement, l’accent mis sur l’evidence-based medicine a relégué la psychanalyse hors du champ des traitements standard en psychiatrie (Garcia, 2024).
Biomédical (modèle neurobiologique : maladie mentale = dysfonction du cerveau, à traiter médicalement)- Vision scientifique naturaliste : considère les troubles psychiques comme des maladies du cerveau, ce qui a permis d’appliquer les avancées de la médecine à la psychiatrie. Ce paradigme a conduit à développer des médicaments efficaces (ex : antipsychotiques, stabilisateurs de l’humeur) qui réduisent les symptômes aigus et évitent les rechutes dans des troubles comme la schizophrénie (Collectif Schizophrénies, 2017/2021). Il a ouvert la voie à des traitements somatiques innovants (ECT, neuromodulation, etc.) et à la recherche de biomarqueurs. - Déstigmatisation partielle : en attribuant la cause de la maladie à des anomalies biologiques (p. ex. déséquilibres neurochimiques), il déculpabilise le patient et sa famille (la souffrance mentale est vue comme une pathologie, non comme un défaut moral). Le patient devient un « malade » à traiter, légitimant une prise en charge médicale et des financements pour la recherche en neurosciences (notamment dans les années 1990, désignées Décennie du Cerveau).- Réductionnisme : en se focalisant sur le cerveau, ce paradigme a parfois négligé la dimension psychologique et sociale de l’humain. La vision strictement organique tend à « naturaliser la folie » en lui enlevant sa dimension humaine, et à considérer que chaque symptôme a une cause uniquement biologique. Cette approche purement mécaniste a été critiquée pour son incapacité à expliquer toute la complexité des troubles mentaux (par ex. rôle de l’environnement, de l’histoire de vie, etc.). - Traitements incomplets et effets secondaires : les médicaments issus du modèle biomédical traitent souvent les symptômes sans guérir le trouble sous-jacent. Ils s’accompagnent d’effets indésirables parfois lourds (sédation, effets métaboliques, etc.), et le paradigme purement biologique peine à résoudre des problèmes comme la stigmatisation ou la réinsertion sociale. Les limites des « préjugés biologiques » ont été soulignées : on a un temps cru que tous les troubles mentaux auraient une explication organique simple, idée depuis relativisée .- Central dans la psychiatrie française actuelle : la psychiatrie est une spécialité médicale, et les recommandations de la HAS mettent systématiquement en avant l’évaluation et le traitement somatique (médicamenteux) des troubles. Après les années 1970-80 dominées par la psychothérapie institutionnelle et la psychanalyse, la France a opéré un virage neuroscientifique. Depuis les années 1990-2000, la formation des psychiatres intègre fortement les neurosciences et la psychopharmacologie (on parlait du « tout neurosciences » avant que la notion de rétablissement n’émerge) (Le Gall, 2022). - Recommandations : Les guides nationaux (par ex. le PNDS Schizophrénie) préconisent tous un traitement médicamenteux de base (neuroleptiques pour psychoses, antidépresseurs pour dépression sévère, etc.), signe de l’ancrage officiel du modèle biomédical. Néanmoins, il est toujours articulé avec d’autres approches (psychothérapie, réhabilitation…), conformément au modèle biopsychosocial désormais promu.- Orthodoxie internationale : le paradigme biomédical est très influent à travers le monde. Il est à la base du DSM et de la CIM, et bénéficie de vastes programmes de recherche (génétique, neuroimagerie…). La plupart des plans d’action internationaux (OMS, WPA…) reconnaissent les troubles mentaux comme des maladies cérébrales à part entière et encouragent le développement de traitements biologiques. - Soins courants : Partout, les standards de prise en charge incluent un recours aux médicaments psychotropes. Par exemple, il existe un consensus mondial sur l’efficacité des antipsychotiques pour traiter les phases aiguës de schizophrénie (Collectif Schizophrénies, 2017/2021), ou des stabilisateurs pour la bipolarité. Ce paradigme est donc largement adopté dans les systèmes de santé, même s’il est souvent combiné à d’autres approches complémentaires (psychologiques, sociales) dans la pratique moderne.
Biopsychosocial (modèle intégré : facteurs biologiques et psychologiques et sociaux)- Approche globale et équilibrée : ce paradigme (proposé par G. Engel en 1977) considère qu’aucun trouble mental ne peut être expliqué ou soigné de façon unidimensionnelle. Il intègre les trois dimensions – biologique, psychologique, sociale – dans la compréhension et le traitement. Cela correspond mieux à la réalité multifactorielle des troubles psy (gènes et environnement, cerveau et vécu, etc.), et permet une prise en charge holistique du patient (sur tous les plans). - Efficacité et personnalisation : en combinant pharmacothérapie, psychothérapie et interventions socio-environnementales, on obtient de meilleurs résultats fonctionnels. Par exemple, dans la schizophrénie, l’association médicaments + interventions psychosociales améliore davantage les symptômes négatifs, cognitifs et la réinsertion que les médicaments seuls (Collectif Schizophrénies, 2017/2021). Les programmes de premiers épisodes qui offrent une palette d’interventions bio-psycho-sociales adaptées aux besoins obtiennent des taux de rétablissement supérieurs (Bertulies-Esposito et al., 2021). Le modèle BPS encourage ainsi un soin « sur-mesure » en mobilisant tous les leviers pertinents.- Portée parfois trop large : certains reprochent à ce paradigme d’être une évidence un peu vague (« tout est multifactoriel »), sans toujours fournir de guidance claire pour prioriser les actions. En pratique, le risque est d’avoir un discours biopsychosocial de principe, mais de ne pas le traduire effectivement (pénurie de moyens sur l’un des volets, par exemple). - Mise en œuvre complexe : exiger une approche intégrée impose une coordination difficile entre professionnels (médecins, psy, travailleurs sociaux…). Sans organisation solide, le modèle BPS peut rester théorique. Des critiques ont pointé que, faute de cadre opérationnel précis, le modèle biopsychosocial peut être utilisé de manière superficielle par certains (effet de mode) (McLaren, 1998). Néanmoins, ces limites tiennent plus à l’application qu’au paradigme lui-même.- Adopté dans les politiques publiques : la France a clairement embrassé le modèle biopsychosocial dans ses textes récents. Le plan Psychiatrie et Santé Mentale insiste sur la pluridisciplinarité et l’articulation des soins sanitaires et médico-sociaux. Le décret 2017 PTSM impose que tous les professionnels coordonnent leurs efforts pour couvrir les besoins somatiques, psychologiques et sociaux des patients (Collectif Schizophrénies, 2017/2021). - Guides de pratique : Les recommandations HAS pour chaque trouble combinent systématiquement traitement biologique et interventions psychologiques et sociales (par ex., psychoéducation/famille, remédiation cognitive, suivi social en plus du traitement médicamenteux). Le modèle BPS est donc institutionnalisé comme référence officielle pour organiser les parcours de soins en France.- Consensus international : le paradigme bio-psycho-social est largement accepté par la communauté scientifique et les instances de santé. Les guides de bonne pratique partout dans le monde recommandent des approches multimodales. Par exemple, les programmes précoces de psychose intègrent une pluralité d’interventions biopsychosociales (médicaments, TCC, psychoéducation, interventions familiales, soutien insertion…) selon les consensus internationaux (Bertulies-Esposito et al., 2021). - Organisation des soins : L’OMS promeut depuis longtemps une approche intégrée de la santé mentale, combinant traitement médical et soutien psychosocial. De nombreux pays ont des équipes multidisciplinaires (psychiatre + psychologue + assistante sociale, etc.) pour appliquer concrètement ce modèle. Ainsi, le BPS constitue aujourd’hui le paradigme dominant en psychiatrie (« standard of care ») au niveau mondial, du moins dans les discours et de plus en plus dans les faits.
Intervention précoce (paradigme du soin anticipé : traiter tôt pour éviter la chronicisation)- Nouveau regard optimiste : ce paradigme, apparu dans les années 1990 (pionniers comme Patrick McGorry), a révolutionné la représentation de la schizophrénie. Plutôt que de voir la psychose comme immédiatement chronique, on la considère comme un phénomène malléable dont l’évolution dépend de la précocité des soins (Roy et al., 2021). Traiter dès les premiers signes (prodrome ou premier épisode) augmente fortement les chances de rémission et de vie normale – on parle de « fenêtre d’opportunité » dans la période critique suivant le début du trouble. - Efficacité démontrée : des études et méta-analyses ont prouvé que les programmes spécialisés de premiers épisodes psychotiques réduisent significativement les mauvais résultats par rapport au suivi classique. On observe moins d’hospitalisations, moins de rechutes, une meilleure adhésion au traitement et un meilleur fonctionnement social et scolaire/professionnel avec l’intervention précoce (Bertulies-Esposito et al., 2021). Par exemple, intervenir précocement permet 4 fois plus de chances de rétablissement qu’un parcours classique tardif (Santé Psy Jeunes, n.d.). Ces succès font de l’intervention précoce un nouveau paradigme de soins en psychiatrie des jeunes (Boyer, 2017).- Difficultés de mise en œuvre : requiert une réorganisation en profondeur des services de santé mentale (équipes dédiées, dépistage actif, suivi intensif mobile…). Ceci se heurte parfois à la résistance au changement dans les structures existantes, peu enclines à modifier leurs pratiques et leur culture (l’implantation de centres d’intervention précoce peut bousculer les habitudes) (Roy et al., 2021). - Risque de surdiagnostic : identifier et traiter des sujets à ultra-haut risque avant même la psychose avérée soulève des questions éthiques. Des professionnels étaient initialement réticents à intervenir « trop tôt » par crainte de médicaliser à tort des jeunes vulnérables (Boyer, 2017). Il faut veiller à ne pas stigmatiser ni exposer inutilement aux médicaments des personnes qui ne développeront peut-être pas de psychose (d’où l’accent mis sur des interventions douces, type psychothérapie, dans les états à risque). - Couverture inégale : si le paradigme a convaincu scientifiquement, sa diffusion réelle prend du temps. Sans volonté politique et moyens dédiés, on manque de structures suffisamment précoces, et bon nombre de patients ont encore un long délai avant le premier soin (DUP élevée). La pression sur la “période critique” peut également peser sur le clinicien (responsabilité de prévenir absolument la transition, risque de burn-out des équipes intensives).- Adoption progressive : en France, ce paradigme est en cours d’officialisation. Le plan Psychiatrie 2022-2025 prévoit de déployer un modèle national de repérage et d’intervention précoce sur tout le territoire d’ici 2027, ciblant prioritairement les 12-25 ans (Ministère chargé de la Santé et de l’Accès aux soins, 2025). Des expérimentations (maisons des adolescents, équipes jeunes adultes) ont précédé cette généralisation. La HAS a publié en 2021 des recommandations de prise en charge du premier épisode psychotique, entérinant la nécessité de soigner vite et intensivement dès le début. - Soutien institutionnel : le virage vers l’intervention précoce est encouragé par les autorités (Grande Cause nationale 2025 sur la santé mentale des jeunes, financements ARS pour des DIP – Dispositifs d’Intervention Précoce). Néanmoins, la France accuse un léger retard par rapport à d’autres pays et doit rattraper en formant les équipes et en collectant des données d’activité pour pérenniser ces services (Boyer, 2017).- Largement reconnu : le paradigme de l’intervention précoce est désormais intégré aux politiques de santé mentale de nombreux pays. Le Royaume-Uni, l’Australie, le Canada, etc. ont depuis les années 2000 des programmes nationaux dédiés aux premiers épisodes (avec obligation de prise en charge spécialisée rapide, comme les “Early Intervention Teams” du NHS). - Consensus scientifique : La valeur de ce modèle est appuyée par des lignes directrices internationales et des consensus d’experts. Partout, on s’accorde sur les composantes essentielles d’un programme précoce efficace (accès facile, équipes jeunesse, interventions multiples, case management intensif, etc.) (Bertulies-Esposito et al., 2021). L’initiative est encouragée par l’OMS et l’Association Européenne de Psychiatrie, qui y voient un changement de paradigme majeur pour améliorer le pronostic des troubles mentaux des jeunes (Boyer, 2017).
Rétablissement (Recovery : paradigme centré sur l’empowerment du patient)- Changement de perspective : au lieu de viser uniquement la « guérison clinique » (disparition des symptômes), le paradigme du rétablissement met l’accent sur la qualité de vie et les projets de vie de la personne, malgré d’éventuels symptômes persistants (Agence Régionale de Santé Île-de-France, 2025). Il s’agit de voir le patient comme un acteur de son propre parcours, capable de retrouver une vie satisfaisante et pleine de sens en dépit du trouble. - Empowerment et espoir : ce paradigme, né dans les années 1970-80 sous l’impulsion de personnes concernées en Amérique du Nord (Agence Régionale de Santé Île-de-France, 2025; Le Gall, 2022), promeut l’espoir d’un avenir meilleur. Il encourage les soignants à inspirer l’espoir et à se focaliser sur les forces et objectifs de la personne plutôt que ses déficits . Les usagers gagnent en pouvoir d’agir sur leur vie, ce qui améliore leur satisfaction, et les professionnels retirent une plus grande satisfaction au travail en voyant leurs patients reprendre du contrôle (Le Gall, 2022). C’est un véritable « tournant paradigmatique » dans la conception des soins (Le Gall, 2022). - Collaboration et nouveaux outils : le rétablissement met en avant la collaboration soigné/soignant (partenariat de soin plutôt que paternalisme). Il valorise des outils comme la pair-aidance (anciens patients employés comme Médiateurs de Santé Pairs inspirant au quotidien la possibilité d’une trajectoire positive) (Agence Régionale de Santé Île-de-France, 2025), l’éducation thérapeutique et l’entraide mutuelle. Ces innovations ont transformé favorablement la culture de soins en rendant les relations moins verticales et plus centrées sur la personne.- Notion floue et récupération possible : le Recovery est parfois critiqué pour son manque de définition univoque – chaque individu ayant son propre cheminement, le concept reste large. Son succès même peut conduire à une utilisation rhétorique par les institutions (« tout service se dit orienté rétablissement ») sans changements concrets suffisants. Des professionnels alertent sur les dangers d’une pensée unique : tout le monde ne se reconnaît pas dans ce modèle, et vouloir l’imposer comme solution universelle pourrait marginaliser certains patients ou soignants (Agence Régionale de Santé Île-de-France, 2025). - Pas une panacée clinique : le rétablissement ne signifie pas absence de traitement médical – nombre de patients en rétablissement prennent encore un traitement . Certains craignent qu’une vision trop idéaliste ne minimise l’importance des soins symptomatiques (le risque étant que l’injonction à l’autonomie pèse sur des patients très fragiles). Il faut donc éviter de mal interpréter ce paradigme : ce n’est ni le déni de la maladie, ni le remplacement des soignants par la seule volonté du patient. - Mise en œuvre exigeante : favoriser le rétablissement suppose de profondes évolutions (organisation souple, travail sur la stigmatisation, accès aux droits, logement, emploi…). Sans moyens alloués, le concept peut rester un slogan. En outre, certains soignants redoutent qu’il soit instrumentalisé par les décideurs pour réduire les durées de prise en charge sous prétexte « d’autonomisation », au lieu d’améliorer réellement l’accompagnement.- Inscrit dans les politiques publiques : en France, le concept de rétablissement a été intégré progressivement. Dès 2016, la loi de modernisation de la santé l’a mentionné comme une orientation recommandée des soins en santé mentale (Le Gall, 2022). Les Projets Territoriaux de Santé Mentale imposent depuis 2018 de viser le rétablissement et l’inclusion sociale. Une instruction ministérielle (2019) a structuré le déploiement des équipes de réhabilitation psychosociale, fer de lance du rétablissement (création de ~30 plateformes régionales). - Formation et financements : Les ARS soutiennent la formation des soignants au modèle du rétablissement [par ex. développement de modules de Recovery dans les écoles, financements de médiateurs de santé-pairs (Le Gall, 2022)]. Le discours officiel promeut l’autodétermination des usagers et leur participation active (loi 2002, pair-aidance reconnue, etc.). Globalement, le paradigme du rétablissement est aujourd’hui encouragé par les autorités françaises, même s’il reste en cours d’appropriation sur le terrain.- Diffuse à l’échelle mondiale : issu des mouvements d’usagers anglo-saxons, le Recovery a infusé les politiques de nombreux pays (USA, Canada, Royaume-Uni, Australie… puis Europe). Des plans nationaux en santé mentale intègrent officiellement le rétablissement comme objectif (ex. Nouvelle-Zélande dès les années 1990). - Organisations internationales : L’OMS et la WPA soutiennent ce paradigme centré sur les droits et la citoyenneté des patients. On le retrouve dans des programmes comme QualityRights de l’OMS qui promeut les services orientés vers l’autonomie et l’inclusion. Partout, l’accent est mis sur l’implication des usagers dans l’élaboration de leur projet de soins. Ainsi, le paradigme du rétablissement fait désormais partie du langage courant en santé mentale globale, avec un impact tangible sur la transformation des services (bien que variable selon les pays).
Psychiatrie communautaire (désinstitutionnalisation : soins en milieu ouvert plutôt qu’asile)- Respect des droits et dignité : ce paradigme part du principe que les personnes souffrant de troubles psychiques doivent vivre dans la société, et non à l’écart. Il découle du modèle social du handicap et des combats pour les droits civiques des personnes handicapées. L’idée est de passer d’une vision du patient comme objet de soins isolé en institution, à celle d’un sujet de droits inclus dans la communauté. On vise une égalité de traitement avec les autres citoyens (accès aux soins somatiques, aux services de droit commun, etc.), sans relégation. - Continuité des soins et humanisation : la psychiatrie communautaire, via des structures de proximité (CMP, hôpitaux de jour, appartements thérapeutiques, équipes mobiles…), permet d’assurer un suivi au long cours plus flexible et de maintenir les liens familiaux et sociaux. Ce paradigme a favorisé le développement d’alternatives à l’hospitalisation prolongée : par exemple, en France, la politique de sectorisation (circulaire de 1960) a découpé le territoire en secteurs rattachés à des équipes publiques, pour offrir des soins plus proches du lieu de vie. Le soin devient plus ouvert et préventif, ce qui réduit la stigmatisation liée à l’enfermement asilaire et améliore souvent la qualité de vie des patients.- Risque d’abandon si insuffisance de moyens : mal préparée, la désinstitutionalisation peut conduire à des effets pervers. L’histoire montre que dans certains pays, la fermeture des hôpitaux psychiatriques s’est faite sans créer assez de structures de remplacement – d’où une augmentation des personnes sans domicile ou en prison faute de soins (phénomène de transinstitutionnalisation) . Sans encadrement adéquat, des patients chroniques ont pu errer dans la rue ou surcharger les urgences, ce qui est contraire aux objectifs initiaux. - Exécution complexe : ce paradigme exige un réseau de services développé (logement accompagné, centres de jour, équipes pluridisciplinaires itinérantes…). Dans les pays ou régions où ces ressources manquent, la désinstitutionnalisation peut être incomplète ou inéquitable. Par ailleurs, il subsiste des besoins pour une minorité de patients nécessitant des soins intensifs de longue durée – le tout-communautaire a ses limites pour les situations les plus lourdes. La réussite de ce modèle dépend donc étroitement du soutien politique et financier continu pour renforcer les dispositifs de proximité .- Orientations nationales : la France a progressivement désinstitutionnalisé sa psychiatrie à partir des années 1960 via la sectorisation (réduction des lits d’asile, développement des alternatives ambulatoires). Officiellement, la psychiatrie de secteur est toujours la base de l’organisation (815 secteurs pour la psychiatrie adulte). Cependant, le pays conserve un nombre important d’établissements et de places en hospitalisation complète. En 2017, l’ONU a critiqué la France pour son retard dans l’inclusion communautaire : la rapporteuse spéciale sur les droits des handicapés a noté que l’accent en France restait mis sur les déficiences individuelles plutôt que sur l’adaptation de la société pour l’inclusion de proximité . - Évolution récente : La France a ratifié la Convention ONU (CRPD) en 2010, s’engageant à développer la vie autonome. Des plans « Psychiatrie et Santé Mentale » successifs ont recommandé de renforcer les soins en milieu ouvert. Néanmoins, aucune fermeture massive d’hôpitaux n’a eu lieu : en 2023, le gouvernement a reconnu qu’il n’était « pas prévu de fermer les établissements », préférant ajouter des solutions de proximité tout en maintenant un parc d’institutions . Cela illustre une position officielle encore mitigée, qui prône la psychiatrie communautaire en théorie, mais peine à se détacher totalement du modèle hospitalier historique.- Tendance généralisée : à la fin du XXe siècle, la plupart des pays occidentaux ont mené des politiques de fermeture des asiles et de réduction drastique des lits psychiatriques . L’Italie (loi Basaglia 1978), les EUA/Canada (Community Mental Health Acts des années 60), ou plus récemment le Royaume-Uni, ont remplacé l’asile par des services communautaires. - Recommandation OMS : L’Organisation mondiale de la Santé préconise explicitement de fermer les hôpitaux psychiatriques traditionnels, à remplacer par des unités psychiatriques intégrées aux hôpitaux généraux et surtout par des services de santé mentale communautaires de secteur . Cette recommandation s’inscrit dans une démarche de respect des droits humains et a valeur de consensus. De nombreux pays à revenu élevé ont réussi la transition, tandis que les pays à revenu faible/moyen y travaillent encore. Globalement, le paradigme communautaire est aujourd’hui considéré comme le standard éthique et efficace des soins psy (même si sa mise en place concrète varie selon les contextes nationaux).

Sources : Haute Autorité de Santé, OMS, articles scientifiques et rapports cités ci-dessus. (Voir références numérotées)


Tableau : Modèles psychopathologiques contemporains (France, ~2010–2020)

Nom du modèleArguments favorables (cohérence clinique, portée symbolique, légitimité)Arguments défavorables (limites épistémologiques, critiques sociales, dérives)Statut en France (HAS, université/clinique, posture dominante/marginale)Statut international (reconnaissance scientifique, diffusion clinique, controverses)
Modèle psychanalytiqueConception du psychisme riche en symboles (inconscient, conflits infantiles) apportant une cohérence narrative aux troubles mentaux. Valorise l’histoire singulière du sujet et le sens caché des symptômes, ce qui peut donner du sens clinique au vécu du patient. Ses partisans y voient une défense de la complexité humaine face au réductionnisme scientifique (Botbol & Gourbil, 2018). Longue légitimité culturelle en France (influence en philosophie, arts, etc.), offrant un imaginaire clinique imprégné de mythes (Œdipe, transfert) qui structure encore certains services.Fortement critiqué pour son manque de validité scientifique : les théories freudiennes sur les causes de l’autisme, schizophrénie, TOC, etc., se sont révélées fausses ou sans pouvoir explicatif (Ramus, 2019). Efficacité thérapeutique non supérieure au placebo dans la plupart des troubles selon l’INSERM (Canceil et al., 2004). Limité par une méthodologie non vérifiable (concepts non falsifiables) et une tendance à l’interprétation subjective. Dérives notoires : culpabilisation des mères (autisme, psychose) et retards de prise en charge adaptée (Ramus, 2019), ainsi qu’une possible dérive sectaire du fait de l’autorité du thérapeute. Socialement, il est accusé d’entretenir un entre-soi élitiste et d’ignorer les avancées objectives.Historiquement dominant en psychiatrie française au XXᵉ siècle, il reste influent dans certains cursus de psychiatrie/psychologie et institutions (surtout en pédopsychiatrie traditionnelle). Toutefois, depuis les années 2010, son prestige est en déclin : la HAS a exclu la psychanalyse des recommandations pour l’autisme en 2012 (ANESM & HAS, 2012, p.27). Dans les hôpitaux, l’approche psychanalytique est contestée par les approches evidence-based, et sa posture devient marginale chez les nouvelles générations de cliniciens, même si des praticiens formés y restent attachés.Jadis international (première moitié du XXᵉ s.), aujourd’hui la psychanalyse est globalement en retrait dans la psychiatrie académique mondiale. Elle conserve une présence forte surtout en Amérique latine et quelques pays d’Europe (France notamment [Botbol & Gourbil, 2018)], mais est largement supplantée ailleurs par le modèle biomédical et les TCC. Scientifiquement, sa reconnaissance est faible [concepts non retenus par la psychologie moderne (Ramus, 2019)]. Cliniquement, elle survit via des praticiens privés et quelques institutions, mais n’est plus le paradigme dominant. Les controverses persistent quant à son statut : est-elle un reliquat archaïque d’une époque pré-scientifique ou une résistance salutaire à l’objectivation de l’humain (Botbol & Gourbil, 2018) ?
Modèle neurobiologique (biomédical)Conçoit les troubles psychiques comme des affections du cerveau ou désordres neurochimiques, s’inscrivant dans le paradigme « maladie comme les autres ». Cette approche apporte une cohérence clinique via la référence à l’anatomie et à la physiologie : symptômes rattachés à des dysfonctions cérébrales identifiables (neurotransmetteurs, circuits neuronaux). Grande légitimité scientifique et sociale : soutenue par la recherche (génétique, imagerie) et par l’industrie pharmaceutique, elle bénéficie d’un prestige de « médecine fondée sur la preuve ». Symboliquement, ce modèle déculpabilise le patient (il souffre d’une maladie organique, non d’un défaut moral) et offre des traitements standardisés (médicaments, ECT) efficaces sur certains symptômes lourds.Réductionnisme critiqué : en réduisant l’esprit au cerveau, ce modèle néglige la subjectivité et le contexte psychosocial (Collectif, 2025). Epistémologiquement, il repose sur des inférences biologiques souvent indirectes (pas de biomarqueur unique pour chaque trouble) et peut conduire à une surmédicalisation (prescriptions excessives, pathologisation du normal). Socialement, on lui reproche une approche trop techniciste et gestionnaire : chaque diagnostic aurait « son » traitement standard (Collectif, 2025), aux dépens d’une prise en charge globale de la personne. Des dérives possibles incluent l’influence de l’industrie (conflits d’intérêts) et un certain fatalisme (risque de considérer le patient comme biologiquement déficient à vie). Enfin, des voix dénoncent la « métaphore médicale » en santé mentale, qui introduirait des biais de compréhension en assimilant à tort les troubles psychiques à des maladies purement organiques (Collectif, 2025).Depuis les années 2000, le biomédical est devenu influant en France : formation des psychiatres centrée sur le DSM et les neurosciences, développement de la psychopharmacologie. La Haute Autorité de Santé appuie largement ce modèle en recommandant des traitements médicamenteux et EBP (p. ex. antidépresseurs, antipsychotiques). Toutefois, la France garde un certain pluralisme : la réforme Bellivier (années 2020) prônant un virage strictement biomédical a suscité l’opposition de nombreux psychologues cliniciens (Collectif, 2025). En pratique, la psychiatrie publique oscille entre ce modèle dominant dans les instances officielles (recherche en neuro imagerie, centres experts biomédicaux) et des résistances de terrain qui soulignent la nécessité du psychologique et du social.Dominant à l’international – la psychiatrie mondiale a largement embrassé le paradigme neurobiologique depuis les années 1980 (ère DSM-III et suivantes). Reconnu scientifiquement (neurosciences, modèles animaux, essais cliniques pharmacologiques), il oriente la recherche de nouveaux traitements. La diffusion clinique est quasi-universelle : prescription de psychotropes comme socle du traitement dans la plupart des pays. Néanmoins, des controverses existent : critique de la sur-pathologisation (p.ex. débats autour du DSM-5), remise en question du dogme du « déséquilibre chimique », et mouvements de psychiatrie critique ou communautaire plaidant pour compléter le biomédical par d’autres approches. Globalement, le modèle biomédical reste hégémonique, tout en étant contraint d’évoluer face à la complexité non résolue de nombreux troubles.
Modèle cognitivo-comportemental (TCC)Approche centrée sur les comportements observables et les cognitions dysfonctionnelles. Forte cohérence clinique : postule que les troubles résultent d’apprentissages inappropriés ou de schémas de pensée erronés, modifiables par des techniques structurées (exposition, reconditionnement cognitif). Portée symbolique moderne – l’individu n’est pas prisonnier de son passé inconscient, il peut apprendre à changer ici et maintenant. Légitimité scientifique élevée : de nombreuses études contrôlées démontrent l’efficacité des TCC pour des troubles variés (anxiété, dépression, phobies, TOC…), souvent supérieure à celle de la psychanalyse sur symptômes ciblés (Ramus, 2019). Professionnellement, ce modèle promeut des usages concrets (protocoles standardisés, évaluations par échelles, thérapies brèves) qui rassurent cliniciens et tutelles par leur caractère pragmatique et évaluable.Critiqué pour un certain simplisme : en se focalisant sur les symptômes et pensées conscientes, il négligerait la profondeur de la vie psychique et les causes historiques des troubles. Des psychanalystes et phénoménologues dénoncent une vision « techniciste » de l’humain, qui risquerait de superficiellement normaliser sans traiter le mal-être existentiel. Possible dérive de formatage : protocoles trop rigides appliqués uniformément, au détriment de la singularité du sujet. Socialement, certains y voient un outil d’adaptation normative de l’individu à la société (on modifie le patient plutôt que questionner son milieu). Épistémologiquement, les TCC ont été prises à partie dans le débat du « dodo bird » (toutes les psychothérapies seraient équivalentes en moyenne), bien que leurs défenseurs soulignent des résultats spécifiques supérieurs dans de nombreux essais. Enfin, son succès peut conduire à une standardisation excessive des soins psychiques (« manuels de thérapie ») et à la réduction du soignant à un rôle de technicien, ce qui est parfois vécu comme déshumanisant.Longtemps marginalisées en France du fait de la prédominance psychanalytique, les TCC ont gagné du terrain dans les années 2010. La HAS les recommande comme traitements de première intention pour de nombreux troubles (phobies, troubles anxieux, addiction, etc.). Des diplômes universitaires de TCC se sont multipliés pour former psychologues et psychiatres. Malgré cela, la France a accusé un retard : en 2018, la diffusion des TCC y restait bien moindre que dans d’autres pays occidentaux (Botbol & Gourbil, 2018). Elles sont aujourd’hui en croissance, soutenues par l’assurance maladie (expérimentations de remboursement de psychothérapies brèves). La posture officielle évolue donc vers une intégration des TCC, même si des poches de résistance persistent dans certains milieux cliniques attachés à d’autres paradigmes.Très largement reconnues internationalement comme approche psychothérapeutique de référence (notamment dans les pays anglo-saxons et d’Europe du Nord). Diffusion clinique massive : la plupart des guides de pratique clinique internationaux préconisent les TCC pour un large éventail de pathologies, et de nombreux professionnels sont formés à ces techniques à travers le monde. Les controverses subsistent surtout sur l’ampleur de leur champ d’application (peuvent-elles tout traiter ?) et sur la comparaison avec d’autres approches (par ex. débats TCC vs thérapies psychodynamiques). Globalement, les TCC jouissent d’un soutien scientifique solide et d’une implémentation importante dans les systèmes de soin, même si certains pays (comme la France jadis) ont mis plus de temps à les intégrer.
Modèle bio-psycho-socialVision intégrative par excellence, issue des travaux d’Engel : considère qu’un trouble mental résulte d’une interaction dynamique entre facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. Cohérence clinique forte car il reflète la complexité réelle des troubles : par ex. un épisode psychotique peut s’expliquer par une combinaison de vulnérabilités neurobiologiques et d’événements de vie stressants. Symboliquement, ce modèle réconcilie les perspectives – il offre une portée unificatrice en légitimant à la fois le traitement médical (biologie), l’accompagnement psychothérapeutique (psycho) et la prise en compte de l’environnement du patient (social). Son attractivité vient de ce qu’il promet une prise en charge holistique : soigner la personne et pas seulement la maladie. Il jouit d’une large légitimité scientifique et institutionnelle de nos jours, étant souvent présenté comme une évidence moderne dans l’enseignement médical.Dans la pratique, le modèle biopsychosocial est parfois critiqué comme un cadre très général sans mode d’emploi précis. Épistémologiquement, certains le jugent peu prédictif : il énumère des dimensions plutôt qu’il n’explique, ce qui peut conduire à des approches floues où l’on ajoute des facteurs sans réelle théorie directrice. Son application peut se limiter à un discours de principe (tout le monde se dit « biopsychosocial »), tandis que dans les faits un aspect (souvent le biologique) domine. Des auteurs soulignent qu’il n’a pas réellement dissipé le sentiment d’impuissance clinique face à des maladies sévères – il a surtout déplacé le problème en rappelant de tout considérer. Par ailleurs, le risque d’éclectisme incohérent existe : sous prétexte d’intégration, certains assemblent des techniques hétéroclites sans cohérence (critique des « patchworks intégratifs » par exemple ). Socialement, on pourrait reprocher à ce modèle d’être tellement consensuel qu’il n’a pas de tranchant critique (il ne remet pas en cause l’ordre établi, il l’englobe). Enfin, il peut y avoir dérive bureaucratique : vouloir cocher les cases bio/psycho/social peut engendrer une surcharge de démarches pour couvrir chaque aspect, sans bénéfice tangible si cela devient procédural.En France, le discours officiel en psychiatrie se réclame volontiers du modèle bio-psycho-social (notamment depuis les années 2010, avec la notion de parcours de soins global). La HAS et les plans nationaux de santé mentale insistent sur l’articulation des soins sanitaires et médico-sociaux. Cependant, sur le terrain, l’intégration réelle des trois pôles reste inégale. Ce modèle est enseigné en faculté de médecine (parfois présenté comme une petite révolution conceptuelle alors même qu’il date de 1977) et prôné dans les recommandations (ex : prise en charge de la schizophrénie incluant médicament, réhabilitation, soutien social). Le statut en France est donc paradoxal : consensus de principe (personne ne s’y oppose, il est institutionnalisé), mais mise en œuvre variable (certains services restent très biomédicaux faute de moyens humains pour le psychosocial, d’autres intègrent réellement psychothérapeutes, travailleurs sociaux, etc.). Globalement, on peut dire qu’il a force de doctrine officielle, sans qu’il y ait toujours les ressources pour l’appliquer pleinement.Internationalement, le modèle bio-psycho-social est largement adopté comme paradigme de référence en psychiatrie et en médecine psychosomatique. Il oriente les classifications (par ex. la CFTMEA française ou la CIM intègrent des axes multi-factoriels) et les programmes de formation. Sa diffusion clinique est importante : la plupart des pays développés reconnaissent la nécessité de combiner traitements pharmacologiques, psychothérapies et interventions socio-environnementales. Peu de controverses frontales, car il s’agit d’un modèle englobant qui a plutôt mis fin aux guerres de clochers – c’est dans l’interprétation qu’il diffère (certains le tirent vers le neurocentrisme avec add-on psychosocial, d’autres vers le social avec support médical). Les discussions portent sur comment le rendre plus opérationnel (p. ex. développement de modèles spécifiques comme le modèle vulnérabilité-stress-compétences qui précise comment les facteurs interagissent). En somme, sur la scène mondiale, le bio-psycho-social est consensuel, même si son application concrète dépend de la culture et des ressources de chaque système de soins.
Modèle neuropsychologiqueModèle axé sur les fonctions cognitives du cerveau et leurs dysfonctions dans les troubles mentaux. Il offre une lecture clinique en termes de profils cognitifs : par exemple, la schizophrénie est associée à des déficits d’attention, de mémoire et de fonctions exécutives, que l’on peut objectiver par des tests. Cohérence clinique forte dans le champ du handicap : identifier ces altérations permet de cibler des stratégies de réhabilitation (remédiation cognitive, orthophonie, etc.) pour améliorer le fonctionnement quotidien du patient. Ce modèle a une portée symbolique rassurante car il objectivise la souffrance (scores neuropsychologiques, bilans chiffrés) et la traite comme un déficit rééducable plutôt qu’une folie incompréhensible. Légitimité scientifique solide dans certaines pathologies : la neuropsychologie a apporté des preuves de troubles cognitifs endophénotypiques dans la schizophrénie, le TDAH, les troubles bipolaires, etc., et a développé des outils de remédiation efficaces (validés par des études, par ex. amélioration des fonctions exécutives après entraînement). En somme, il véhicule un imaginaire de la psychopathologie comme « dysfonction cognitive », aligné avec la neurobiologie, et complémentaire de l’approche symptômes.Limites : risque de réduction cognitive de la personne. En focalisant sur ce qui « manque » dans les performances mentales du patient, on peut négliger la vie affective et relationnelle non mesurable par les tests. Épistémologiquement, le modèle neuropsychologique peut sembler fragmentaire : il décrit des déficits isolés (mémoire, attention) sans toujours expliquer le trouble dans sa globalité (peu de modèles unificateurs reliant cognition et psychose par ex.). Critiques sociales : cette approche peut stigmatiser en étiquetant les individus par leurs déficiences (QI, fonctions altérées), et induire un pessimisme (« lésion cognitive irréversible »). De plus, tout trouble mental ne se résume pas à un profil neuropsychologique : par ex. les traumatismes psychiques entraînent des symptômes sans lésion cognitive franche, d’où le reproche d’ignorer la subjectivité et l’histoire du patient. Possibles dérives : une normalisation normative à outrance (le but devenant de rendre le patient « performant » cognitivement selon des standards) ou un usage commercial de programmes de remédiation « clés en main » pas toujours adaptés individuellement.En France, le modèle neuropsychologique s’est intégré progressivement dans les années 2000-2010, surtout via la notion de remédiation cognitive. La HAS et les plans psychiatrie ont encouragé la remédiation dans des troubles comme la schizophrénie (considérée comme une intervention recommandée en complément des traitements) . Des centres spécialisés (ex : C3R – centres de réhabilitation psycho-sociale) ont été créés, sous l’impulsion de cliniciens comme le Pr Nicolas Franck, pour évaluer et entraîner les fonctions cognitives des patients. À l’université, les cursus de neuropsychologie clinicienne forment des psychologues dédiés. Dans les hôpitaux, de plus en plus d’unités proposent des ateliers de remédiation cognitive ou de remédiation des habiletés sociales, signe que le modèle est pris en compte. Il reste néanmoins souvent subordonné au modèle médical (on l’utilise en complément du médicament). Statut actuel : reconnu et valorisé dans la psychiatrie moderne française, mais cantonné au rôle d’outil technique (peu de psychiatres se définissent comme « neuropsychologues », ils font plutôt appel à des neuropsychologues ou ergothérapeutes dans l’équipe).Internationalement, l’approche neuropsychologique est largement diffusée dans la recherche et la clinique. Elle s’insère particulièrement dans le courant de la neuroscience clinique : les essais cliniques comportent souvent des évaluations neurocognitives, et les programmes de réhabilitation psychosociale incluent quasi systématiquement des volets cognitifs. La reconnaissance scientifique est forte, avec des journaux, conférences et associations dédiés (par ex. la Cognitive Remediation Therapy est reconnue efficace pour la schizophrénie dans de nombreux pays ). En pratique, les pays anglo-saxons, l’Allemagne, les pays nordiques ont depuis longtemps intégré neuropsychologues et interventions cognitives dans leurs services de santé mentale. Les controverses sont faibles sur le bien-fondé du modèle (tout le monde admet l’importance des fonctions cognitives), mais portent plutôt sur l’ampleur de son efficacité : les gains de remédiation cognitive transfèrent-ils assez dans la vie réelle, et jusqu’à quel point l’entraînement peut-il compenser les troubles ? Globalement, le modèle neuropsychologique est considéré comme un élément clé du modèle biomédical moderne, apportant des ponts entre la psychiatrie et la neurologie, avec une diffusion mondiale.
Modèle du rétablissement (Recovery)C’est un changement de paradigme dans la façon de concevoir l’évolution des troubles sévères : le rétablissement met l’accent non sur la disparition complète des symptômes, mais sur la reconstruction d’une vie satisfaisante et porteuse de sens malgré la maladie. Cohérence clinique centrée sur l’autonomisation et l’espoir : il s’agit d’accompagner la personne dans un processus actif où elle retrouve du pouvoir d’agir (empowerment), redéfinit son identité au-delà du diagnostic et poursuit ses propres objectifs de vie (travail, relations, loisirs). Symboliquement très fort, ce modèle véhicule un imaginaire de résilience et d’espoir là où prévalait l’idée de chronicité incurable. Il est porté par les témoignages des usagers eux-mêmes, ce qui lui confère une légitimité sociale grandissante et une approche plus humaniste (partenariat soignant-soigné). De plus en plus de données montrent que de nombreux patients atteints de troubles psychiques sévères peuvent se rétablir (au moins partiellement) sur le plan personnel, même si des symptômes persistent, ce qui conforte la validité de ce modèle .Limites et critiques : la notion de rétablissement personnel est parfois jugée floue – propre à chacun, difficile à quantifier, elle échappe aux critères médicaux classiques. Certains professionnels sceptiques y voient un idéalisme naïf, craignant qu’on minimise la nécessité des soins médicaux et du suivi rigoureux : « penser positif » ne suffit pas à traiter une schizophrénie. Socialement, une critique pointe une possible instrumentalisation néolibérale : en prônant l’autonomie, on risquerait de faire porter au patient la responsabilité de « guérir » sans suffisamment d’aide (le recovery pouvant alors servir de prétexte pour réduire les prises en charge, sous couvert d’autonomisation). Épistémologiquement, ce n’est pas un modèle explicatif du trouble mais une philosophie de soin, ce qui laisse des zones d’ombre (comment concilier les rechutes biologiques avec le maintien de l’espoir ? quelles limites au rétablissement ?). Dérives possibles : une survalorisation du témoignage individuel par rapport aux connaissances scientifiques (risque de rejet des traitements au profit d’approches non éprouvées sous prétexte qu’elles donnent de l’espoir), ou, inversement, sa récupération par des institutions sans vrai changement de culture (le « récovery-washing »). En somme, bien que puissant éthiquement, le modèle du rétablissement doit éviter de nier la souffrance persistante ou de culpabiliser les échecs (si un patient ne va pas mieux, le danger serait de dire qu’il n’a pas « suffisamment travaillé sur son rétablissement »).En France, le mouvement du rétablissement est émergent durant les années 2010. Encore minoritaire au début de la décennie (porté par quelques pionniers et associations d’usagers), il gagne en visibilité à la fin des années 2010 : introduction des médiateurs de santé pairs (patients formés intervenant en soutien dans les équipes), création de groupes d’entraide et de Recovery colleges. La HAS et les politiques publiques commencent à intégrer le terme « rétablissement » dans certains documents stratégiques récents, mais sans bouleversement immédiat des pratiques. Sur le terrain, seuls un petit nombre d’établissements et de professionnels adhèrent explicitement à ce modèle dans leurs interventions quotidiennes . Beaucoup de praticiens français restent réservés, par tradition hospitalo-centrée ou par manque de formation. Néanmoins, le discours évolue (participation des usagers aux décisions, projets de vie valorisés). En 2020, on peut dire que le rétablissement en est au stade de posture alternative minoritaire mais en croissance en France, soutenue par des familles, des usagers et quelques équipes innovantes, et appelée à se diffuser davantage dans les années suivantes.À l’international (notamment dans les pays anglo-saxons, Australasie, Canada), le modèle du rétablissement est devenu central depuis les années 1990-2000. Il a été adopté comme cadre par de nombreux systèmes de santé mentale (par ex. en Angleterre via les politiques du NHS, en Australie/Nouvelle-Zélande avec des plans nationaux pro-recovery). La reconnaissance scientifique est venue d’études en sciences sociales montrant l’importance des facteurs tels que l’espoir, l’autodétermination et le soutien des pairs dans l’issue des troubles graves. Aujourd’hui, le recovery est largement considéré comme une philosophie guide complémentaire du modèle médical, surpassant même ce dernier en tant que paradigme de soins modernes . La diffusion clinique est importante : réseaux de peer support, programmes de réhabilitation orientés vers la vie dans la communauté, évaluation des services selon la qualité de vie plus que la seule réduction symptomatique. Des controverses existent cependant – certaines voix (surtout dans des pays où le modèle est appliqué) alertent sur le risque de sous-financement des soins au nom du recovery ou sur la possible désillusion si on promet à tous une reprise normale de la vie. Malgré cela, le consensus international va vers l’intégration du rétablissement comme dimension essentielle de la prise en charge, avec un fort soutien des organismes tels que l’OMS.
Modèle développemental / neurodéveloppementalCe modèle considère les troubles psychiques à travers le prisme de l’évolution au cours du développement de l’individu. Cohérence clinique : il met en lumière l’importance des facteurs précoces (grossesse, petite enfance, adolescence) dans l’étiologie des troubles. Par exemple, l’hypothèse neurodéveloppementale de la schizophrénie postule des altérations cérébrales subtiles pendant le développement, se manifestant cliniquement à l’adolescence. Symboliquement, cette approche change le regard sur certains diagnostics autrefois figés : un trouble est vu comme le résultat d’un trajet de vie unique, avec des périodes critiques et des opportunités d’intervention précoce. Elle porte ainsi l’idée qu’en agissant tôt (stimulation précoce, guidance parentale, prise en charge des retards ou atypies), on peut modifier la trajectoire de la maladie. Grande légitimité scientifique, notamment dans les troubles de l’enfance : la notion de troubles neurodéveloppementaux (TSA, TDAH, dys-, handicap intellectuel) est bien établie dans les classifications DSM-5/CIM-11. Le modèle a permis d’améliorer la détection (dépistage dès 2 ans pour l’autisme) et de développer des interventions développementales (programme ESDM pour autisme, interventions parent-enfant) qui ont fait leurs preuves.Certains critiques pointent un risque de biologisation extrême : la notion de « neurodéveloppemental » peut réduire un trouble à un dysfonctionnement cérébral apparu tôt, au détriment de la considération des facteurs actuels. Il y a aussi la question du diagnostic précoce : vouloir prédire à tout prix dès l’enfance peut conduire à des sur-diagnostics ou à figer un parcours (étiqueter un jeune comme « à risque » peut être stigmatisant). Épistémologiquement, le modèle développemental doit gérer une énorme complexité (multitude de facteurs génétiques, épigénétiques, environnementaux interagissant au fil du temps) – certains le trouvent donc trop général ou spéculatif lorsqu’il tente d’expliquer un trouble chez un adulte uniquement par son passé. Socialement, l’approche développementale peut faire peser sur la famille une forme de culpabilité (les parents se demandant ce qu’ils ont raté pendant l’éducation) ou, inversement, déresponsabiliser l’individu (tout était joué dès l’enfance, d’où fatalisme). Des dérives possibles incluent une course au dépistage (vouloir tester tous les enfants pour tout, au risque d’angoisser inutilement) et la tendance à pathologiser des variantes du développement qui pourraient relever de la diversité plutôt que du trouble (d’où le mouvement actuel de neurodiversité critiquant l’excès de médicalisation de l’autisme notamment).En France, le tournant neurodéveloppemental a été particulièrement marqué dans le domaine de l’autisme. Dans les années 2010, sous l’impulsion des plans Autisme et des recommandations HAS 2012, l’approche psychanalytique de l’autisme a été officiellement écartée au profit d’une conception neurodéveloppementale (TED/TSA) misant sur les méthodes éducatives et comportementales . Cela a entraîné une refonte des pratiques en pédopsychiatrie et le développement de centres de dépistage précoce. Plus largement, la pédopsychiatrie française intègre désormais ce modèle : approche dimensionnelle, repérage des troubles dès la crèche/école, collaboration avec la génétique médicale (examens étiologiques en cas de troubles du développement). À l’université, les cursus ont évolué (enseignement de la psychopathologie développementale, interventions précoces, etc.). Le modèle est reconnu par les instances (par ex., la CIM-11 adopte le terme de « troubles neuro-développementaux » qui est utilisé en France). En psychiatrie adulte, il inspire l’intervention précoce en psychose (surveillance des signes prodromiques dès l’adolescence, hypothèse qu’agir durant la période critique améliore le pronostic). En somme, statut actuel : dominant en pédopsychiatrie, et transversalement admis comme cadre explicatif complémentaire pour de nombreux troubles, avec le soutien des autorités sanitaires.Internationalement, le modèle développemental est largement prévalent dans la compréhension des troubles mentaux. Des concepts comme la developmental psychopathology ont structuré la recherche depuis les années 1990, insistant sur la continuité entre troubles de l’enfance et de l’adulte, et sur l’étude des trajectoires (cohortes longitudinales, etc.). La reconnaissance scientifique est forte : on recherche activement les marqueurs développementaux (par ex. retards moteurs subtils prédictifs de schizophrénie, facteurs de risque précoces). La diffusion clinique est notable dans les politiques de santé : programmes d’intervention précoce (autisme, psychoses émergentes) implantés dans de nombreux pays, dépistage systématique des troubles neurodéveloppementaux en pédiatrie, etc. Les controverses restent modérées et portent plus sur des questions d’arbitrage (jusqu’où et quand intervenir ? quelle frontière entre variabilité normale et trouble ?). Un débat éthique existe aussi autour de la prédiction en santé mentale (par ex. controverses sur le diagnostic de syndrome à ultra-haut risque de psychose chez des adolescents). Globalement, toutefois, le paradigme développemental s’est imposé comme un consensus moderne, arrimé aux avancées en génétique, en neurosciences du développement et en sciences de l’environnement (notion d’« origines développementales » de la santé mentale).
Modèle du traumatisme complexe (psychotrauma développemental)Ce modèle postule que les traumatismes répétés ou précoces (abus physiques/sexuels dans l’enfance, carences affectives graves, violences chroniques) induisent des troubles psychiques spécifiques, dits de traumatisme complexe. Cohérence clinique : il relie sous un même cadre explicatif toute une gamme de symptômes auparavant dispersés (dissociation, troubles de l’humeur, somatisations, troubles de l’attachement, impulsivité) en les voyant comme séquelles d’un trauma d’enfance prolongé . Il offre ainsi au patient une relecture unifiante de son parcours – au lieu de se percevoir comme « borderline, dépressif, etc. », il se reconnaît en survivant d’un traumatisme, ce qui peut donner du sens et ouvrir vers la reconstruction. Symboliquement, ce modèle opère une forme de justice narrative : il valide la souffrance en la rattachant à une cause externe (le mal vient de l’agression subie, pas d’une « faute » du patient), et promeut des valeurs de compassion et de réparation. Légitimité scientifique croissante : des études épidémiologiques démontrent clairement le rôle majeur des traumas infantiles dans l’apparition ultérieure de troubles mentaux variés . L’introduction du Trouble de stress post-traumatique complexe (TSPT-C) dans la CIM-11 (2018) consacre sur le plan nosologique cette distinction. Sur le plan thérapeutique, le modèle a encouragé le développement de techniques efficaces (EMDR, thérapies des schémas, approches psycho-corporelles) centrées sur la résolution des traumatismes plutôt que sur le simple contrôle des symptômes.Epistémologiquement, certains déplorent une extension infinie du concept de trauma : à force de tout ramener à des blessures psychiques passées, on risquerait de négliger d’autres facteurs (génétique, tempérament) et de sur-pathologiser des expériences pourtant résilientes chez beaucoup. La validation scientifique du TSPT complexe est encore en cours : la frontière entre ce diagnostic et d’autres (personnalité borderline, trouble dissociatif) fait débat, et certains craignent une inflation diagnostique (où chaque patient difficile est étiqueté « trauma complexe »). Socialement, en France, une controverse vive a émergé autour de troubles liés au trauma comme le TDI (trouble dissociatif de l’identité) – une partie de la communauté scientifique et des sceptiques accusent son essor d’être une mode encouragée par internet et des thérapeutes peu rigoureux . Le modèle du trauma complexe est ainsi taxé par ses opposants de manquer de rigueur, voire de susciter des faux souvenirs ou des identifications pathologiques induites. Dérives possibles : un excès de focalisation sur le passé traumatique peut retraumatiser le patient si mal conduit (reviviscence incessante), ou le figer dans un statut de victime empêchant de se projeter. Enfin, la médiatisation de la notion de trauma peut banaliser le terme (« tout est trauma ») et réduire la lecture d’autres enjeux (culturels, existentiels) dans la souffrance.En France, la sensibilité au psychotrauma s’est nettement accrue dans les années 2010, mais le concept de trauma complexe reste en phase d’appropriation. La création de centres psycho-trauma régionaux (à la suite des attentats terroristes de 2015) a surtout visé le PTSD « classique », mais a contribué à diffuser la culture du repérage des victimes de violences. Progressivement, des cliniciens alertent sur la prévalence des traumas d’enfance chez les patients psychiatriques (par ex. nombre de patients en CMP avec antécédents d’abus non traités). Le modèle du trauma complexe n’est pas formellement entériné par la HAS (pas de recommandation spécifique encore en 2020), mais il pénètre via des formations (EMDR, conférences sur le trauma développemental). Dans la pratique, on observe une évolution des mentalités : moins de blâme sur les patients borderline ou dissociatifs, davantage de questions sur d’éventuels traumas dans l’anamnèse. Cependant, la France accuse un petit retard par rapport à d’autres pays sur la reconnaissance officielle du TSPT complexe (par exemple, ce diagnostic n’apparaît que dans la CIM-11, que la France commence tout juste à adopter). Le statut du modèle en 2010-2020 est donc émergent et controversé : défendu par des réseaux de cliniciens psychotrauma et des associations de victimes, mais accueilli avec prudence par une partie de la psychiatrie traditionnelle.À l’international, le rôle du trauma chronique dans la psychopathologie est largement reconnu. La notion de Complex PTSD a été intégrée par l’OMS, et de nombreux pays (USA, Canada, Australie, UK) adaptent leurs services pour les traumas complexes (trauma-informed care, unités spécialisées). La recherche conforte l’importance du trauma (études ACE sur les expériences adverses de l’enfance, multiples méta-analyses ). En clinique, les approches orientées trauma (EMDR, thérapies par exposition prolongée modifiées pour trauma complexe, etc.) sont diffusées mondialement. Les controverses persistent sur des sujets connexes : le Trouble Dissociatif de l’Identité par exemple est validé dans le DSM-5, mais reste contesté par certains experts qui y voient possiblement un artefact socioculturel – ces débats rejaillissent sur le modèle du trauma complexe. Néanmoins, la tendance générale internationale va vers une prise en compte accrue des traumatismes dans la prévention et le traitement des troubles mentaux. Ce modèle s’inscrit dans un mouvement plus large de psychiatrie humaniste cherchant à relier symptômes et histoire de vie, avec un fort soutien des patients eux-mêmes (mouvements#MeToo, etc., légitiment socialement la parole du trauma). En résumé, sur la scène mondiale, le psychotrauma complexe est un paradigme en expansion, faisant l’objet d’un consensus croissant tout en gardant des zones de débat scientifique.
Modèle phénoménologique- La phénoménologie en psychiatrie privilégie la description du vécu subjectif du patient « de l’intérieur », sans théorie préalable (ICP, n.d.). Elle s’intéresse aux structures de l’expérience (perception du temps, de soi, du corps…) et offre une compréhension fine des états psychotiques (hallucinations, délires) ou mélancoliques, héritée de penseurs comme Husserl ou Merleau-Ponty . Elle valorise la rencontre intersubjective, permettant au patient de se sentir reconnu « comme une personne, et pas seulement comme un corps malade » (ICP, n.d.). Sur le plan épistémologique, elle décrit le « comment » de l’expérience humaine, là où d’autres approches cherchent le « pourquoi » causal (Desmidt, 2014). La phénoménologie reste compatible avec une démarche multidisciplinaire – par exemple la « neurophénoménologie » articule aujourd’hui ce regard qualitatif avec les neurosciences (Desmidt, 2014)Ses détracteurs lui reprochent son langage abstrait et son manque de protocoles standards (peu d’outils pratiques pour « guérir » rapidement). Le soin phénoménologique réclame souvent du temps clinique et doit être complété par d’autres approches pour agir sur les symptômes. On lui reproche aussi un certain subjectivisme : le clinicien peut risquer de se perdre dans l’écoute empathique sans produire de changement concret. Académiquement, cette approche reste marginale (peu enseignée et peu institutionnalisée) (ICP, n.d.) – elle n’a ni cursus dédié ni « thérapie phénoménologique » officielle, ce qui limite sa diffusion. De plus, ses bénéfices sont difficiles à quantifier : en pratique, l’évaluation repose surtout sur la satisfaction du patient, car il n’existe pas (ou peu) d’essais contrôlés randomisés dédiés pour en mesurer l’efficacité. Enfin, certains soulignent que sans intégration dans un cadre plus large, la phénoménologie peut seulement décrire la souffrance sans nécessairement la soulager.La phénoménologie conserve une tradition intellectuelle vivace (Minkowski, Tatossian, etc.) mais reste complémentaire et confidentielle. On la retrouve dans quelques enseignements universitaires ou DIU de psychopathologie et dans certains cercles (ex. séminaires de psychiatrie phénoménologique), mais elle n’apparaît ni dans les recommandations officielles (HAS) ni comme modèle de soin formalisé. Elle irrigue toutefois tacitement la clinique de psychiatres formés à la psychopathologie classique : ils utilisent ses concepts pour mieux détecter les débuts de schizophrénie, par exemple en repérant des altérations subtiles de l’expérience de soi (Desmidt, 2014). En bref, elle est un apport conceptuel précieux dans des contextes spécialisés, mais reste marginale dans la formation standard et la pratique institutionnelle (Desmidt, 2014; ICP, n.d.; Cermolacce et al., 2015)La phénoménologie psychiatrique suscite un renouveau académique modeste (notamment en Europe du Nord, au Canada, au Japon). Elle est reconnue scientifiquement comme mode d’investigation du vécu (via des publications et le dialogue « neurophénoménologique » avec les neurosciences) (Cermolacce et al., 2015). Cliniquement, elle reste cependant minoritaire et complémentaire : on la considère comme enrichissant qualitativement les autres modèles plutôt que comme voie thérapeutique autonome. Aucune controverse majeure ne l’oppose ; le débat porte surtout sur son utilité pratique face aux exigences de preuve et sur la nécessité de l’articuler avec d’autres approches.
Modèle systémique (familial)L’approche systémique conçoit la souffrance psychique comme émergente des interactions dans les systèmes sociaux, en particulier la famille. Chaque symptôme est vu dans son contexte relationnel (par exemple, le « patient désigné » peut révéler un déséquilibre familial). Elle privilégie une causalité circulaire : on étudie les boucles de rétroaction, les schémas de communication et les rôles au sein du système. Cette logique s’inspire de la théorie des systèmes et du champ de Kurt Lewin – «  A tout moment, tout homme fait partie d’un champ, et son comportement est toujours la résultante d’un champ global incluant lui-même et ce qui l’entoure » (Manuel de Gestalt-thérapie, 2019, p.33). En pratique, elle a donné naissance aux thérapies familiales et systémiques, qui mobilisent l’entourage (famille, réseaux) comme ressource de soin. Symboliquement, elle déculpabilise le patient (le trouble n’est plus uniquement en lui) tout en responsabilisant son entourage. Les études d’efficacité valident cette approche dans certains domaines : par exemple, la NICE (Royaume-Uni) souligne que l’intervention familiale améliore les compétences d’adaptation et réduit les rechutes chez les schizophrènes (National Institute for Health and Care Excellence, 2023). De même, en anorexie de l’adolescent, les thérapies familiales focalisées sur l’alimentation (modèle de Maudsley) accélèrent la reprise de poids et diminuent l’hospitalisation par rapport aux prises en charge individuelles (Agras et al., 2014). Des programmes de psychoéducation brève comme le modèle BREF (hôpital du Vinatier, Lyon) illustrent l’application précoce et systématique de ces principes au profit des aidants (Fondation FondaMental, 2020).Historiquement, certains fondements ont été abandonnés : la théorie de la « mère schizophrénogène » et le concept de double contrainte (messages familiaux paradoxaux) ont été invalidés par la suite (Côté, 2008). Cela a nourri la défiance de familles qui refusaient toute culpabilisation. Sur le plan épistémologique, on reproche à la systémique de parfois négliger l’aspect biologique : Bateson lui-même, qui étudiait la communication familiale, évoquait peu les facteurs bio-physiques (Côté, 2008). Les données sur l’efficacité des thérapies systémiques (hors psychoéducation) sont variables, ce qui limite les conclusions solides pour toutes les pathologies. Pratiquement, la systémique demande souvent de réunir plusieurs proches (conflits logistiques, résistances possibles) et un savoir-faire spécifique (peu de cliniciens formés). Des dérives peuvent survenir, comme la tentation de tout expliquer systématiquement ou de réduire l’individu à un rôle, au risque d’occulter son vécu personnel.En France, le modèle systémique a une place discrète mais réelle. Intégré surtout en pédopsychiatrie et en thérapie conjugale/familiale, il a connu un essor dans les années 1980-90 (influence de l’École de Milan, de Palo Alto via des figures comme Mony Elkaïm). La HAS n’émet pas de recommandations explicites pro- ou anti-systémiques, mais encourage l’implication de la famille dans plusieurs prises en charge (psychoéducation, entretiens familiaux). Il existe des diplômes et instituts de formation à la thérapie familiale. Néanmoins, ce n’est pas la posture dominante : en 2010-2020, les structures publiques misent plus sur le case management individuel et les approches biomédicales, même si de nombreux services proposent ponctuellement des réunions familiales. Le modèle systémique demeure donc semi-marginal, reconnu comme utile en complément (prévention des rechutes, guidance parentale) plus que comme explication exhaustive des troubles.À l’international : La thérapie familiale/systémique est largement reconnue comme modalité de soin. Très développée aux États-Unis et en Europe (Bateson, Minuchin, Haley, etc.), elle fait partie des recommandations pour plusieurs troubles (p.ex. NICE pour la psychose (National Institute for Health and Care Excellence, 2023)) et est enseignée dans de nombreux masters et instituts spécialisés. Ses principes (feedback, frontières, alliances) s’intègrent aujourd’hui dans des approches multimodales où se combinent médicaments, psychoéducation et thérapie familiale. Aucun débat majeur n’oppose la systémique aux autres modèles ; elle est plutôt considérée comme un outil complémentaire enrichissant la prise en charge globale, sans prétendre la remplacer entièrement.

Sources : Parizot (2009) ; Inserm (2004) ; HAS (2012) ; Botbol & Gourbil (2018) ; Ramus (2019) ; Bellivier (2025) ; Cermolacce et al. (2015) ; ICP (2023) ; Fondation FondaMental (2020) ; Manuscrit de thèse (2024); Psycom (2025) ; Lecomte et al. (2024) ; Hogg et al. (2023) ; Extraits divers.